lundi 25 septembre 2023

14 septembre 2023, décès du général Nguyễn Chí Vịnh


« Les éléphants se cachent pour mourir »… L’adage s’applique très bien aux (ex-)hauts dirigeants de l’armée populaire vietnamienne (APVN). Après une « mort opérationnelle » sans faste, sans véritable cérémonie d’adieux aux armes au terme de carrières pourtant conclues aux plus hautes responsabilités, beaucoup de généraux, une fois passés « de l’autre côté du miroir », se fondent dans la population et ne réapparaissent dans les médias qu’au gré de cérémonies du souvenir qui sont pour eux des occasions de revêtir un uniforme lourdement décoré des « témoins d’usure » que sont ces décorations marquant des franchissements de cap dans la longévité en service et dans celle de service du sein du Parti communiste vietnamien (PCVN). Et à l’image d’une réalité que connaissent toutes les sociétés, beaucoup décèdent dans un quasi anonymat, parfois rompu par un entrefilet dans la presse militaire spécialisée ou dans celle du Parti communiste vietnamien puis repris quasiment in extenso dans d’autres journaux.

Très rares sont ceux qui bénéficient d’un traitement « hors normes », hormis les anciens ministres de la défense, à l’image du général d’armée Phùng Quang Thanh (décédé le 11 septembre 2021, cinq ans après avoir quitté l’institution militaire). Sur ce tableau des départs de personnalités emblématiques de l’APVN de ce début de siècle, un homme occupe désormais une place exceptionnelle, à l’image de son parcours d’exception : le général de corps d’armée Nguyễn Chí Vịnh, dont le décès à Hà Nội a été annoncé le 14 septembre 2023 (trois jours après la fin de la visite du président américain Joe Biden), et dont les funérailles ont été entourés du protocole réservé aux plus hauts dignitaires militaires. Des honneurs qui ancrent pour la postérité l’œuvre de cet homme, pourtant réputé simple et simple d’abord, et de sa famille dans la mémoire collective nationale.

Né le 15 mai 1957 dans la province de Thưa Thiên Huế (Centre), le général Vịnh est le fils du général d’armée Nguyễn Chí Thanh (de son vrai nom Nguyễn Vịnh), l’un des héros des guerres d’indépendance aux côtés du général Võ Nguyên Giáp, puis parfois considéré comme le rival de ce dernier. 

Le général Thanh, alors commissaire politique en chef de l’APVN et membre du bureau politique du Parti communiste, aurait été tué en juin 1967 (à 53 ans) lors d’un bombardement de B-52 américain sur son poste de commandement à Tây Ninh alors qu’il dirigeait les forces communistes dans le Sud. 

Pour autant, pour certains vétérans, il serait décédé à Hà Nội lors d’une attaque cérébrale. L’incertitude sur les causes exactes de sa mort a servi à créer une légende sur ce personnage emblématique de l’APVN : son nom est gravé dans la philatélie nationale depuis fin 2013 et un musée consacré à sa carrière a été inauguré en juin 2023 année à Hà Nội (au 81, Bắc Từ Liêm - photo ci-contre). Nul doute qu’il s’enrichira rapidement d’une salle dédiée à l’œuvre de son fils.

Bénéficiant de l’aura de son père et du cercle relationnel de ce dernier juste dans les sphères les plus fermées et puissantes du Parti communiste, Nguyễn Chí Vịnh a bâti sa carrière au sein du puissant Département général du renseignement militaire (Tổng cục 2) au début des années 1980 dans un contexte d’intervention de l’APVN au Cambodge. Il restera plus de 25 ans dans ce service au sein duquel il progressera notamment grâce à la protection de son beau-père, le général de division Đặng Vũ Chính, auquel il succèdera à la tête de ce corps en 2001 avant d’être promu général en 2002, à 44 ans (plus jeune général alors en service dans l’APVN). Il occupera ce poste jusqu’en 2011, dont les deux dernières années en cumulant la fonction de vice-ministre de la défense chargé des relations internationales, un volet qui, dans beaucoup d’armées, va de pair avec l’écosystème renseignement. C’est donc tout naturellement que la hiérarchie sommitale de l’APVN et du PCVN vont l’adouber lors du 11e Congrès national du PCVN (janvier 2011) en le confirmant dans sa position de vice-ministre de la défense, chargé des relations internationales et en l’intégrant au sein du Comité central du Parti. Des fonctions qu’il conservera durant dix années jusqu’en 2021, année de son admission à la retraite. 

18 octobre 2017, avec le sénateur John Mc Cain,
à Washington
Homme clé de l’insertion de l’APVN dans les relations internationales militaires (RIM) dès le début de ce siècle, le général Vịnh a sillonné la planète et raffermi les relations entre militaires vietnamiens et américains, impulsé une nécessaire diversification des partenariats vers l’Occident (y compris avec l’Union européenne), tout en nourrissant le lien historique avec Moscou et restant une courroie de transmission importante dans la relation avec Pékin malgré les provocations chinoises en mer « de l’Est ».

Homme de l’ouverture nécessaire et maîtrisée, il a en outre été celui qui a fait faire ses premiers pas aux militaires vietnamiens en opérations onusiennes de maintien de la paix, avec comme chef de chantier le colonel supérieur (puis général de brigade) Hoàng Kim Phụng qui a permis la sortie de terre puis l’essort du Centre vietnamien de préparation aux OMP (désormais Département OMP). Une véritable aventure qui se concrétise aujourd’hui par la présence de militaires vietnamiens dans les missions onusiennes au Soudan du sud, en république Centrafricaine et en Abiyé. 

Février 2019, inspection du Rôle 2 vietnamien déployé
à Bentiu (Soudan du Sud).

Sortant du confort consistant à avoir un tel homme orchestre solidement installé à la manœuvre des RIM – et avec une mémoire des dossiers personnels de nombreuses hautes autorités de par son quart de siècle dans le monde du renseignement – l’APVN a été confrontée au choc de son départ (pourtant largement anticipable). Ne disposant d’aucun officier général présentant autant de qualités, le ministère de la défense s’est rabattu sur le commandant en chef des garde-frontières (général Hoàng Xuân Chiến), qui a dû relever le flambeau. Une tâche d’autant plus difficile que les cinq années de mandat du général d’armée Ngô Xuân Lịch à la tête de ce ministère (2016-2021) ont été marquées par un repli imposé par cet ex-commissaire en chef de l’APVN sur son environnement régional immédiat et ses partenaires historiques (Russie, Chine). Une situation qui convenait bien à un ex-garde-frontières mais qui s’est avérée bien plus ardue lorsqu’il s’est agi pour le général Chiến de se glisser dans le costume de son illustre prédécesseur. Il lui a en effet fallu une période de passation de consignes de cinq mois avant d’être « lâché en solo » (nommé vice-ministre de la défense le 14 juillet 2020, Hoàng Xuân Chiến été en doublure de Nguyễn Chí Vịnh jusqu’en décembre, clap de fin de la carrière de ce dernier).  

Quelle ne fut donc pas la surprise (et le plaisir) des observateurs de voir que les médias (forcément aux ordres du régime tel le Quân đội Nhân dân mais dont certains, à l’image de  Tuổi Trẻ, qui avait visiblement « ses entrées » auprès du général Vịnh, ont une approche plus nuancée de certains sujets et touchent un lectorat plus large que les médias du Parti) ont continué de tisser un lien régulier auprès du général Vịnh, qui les recevait à son domicile, ce qui pouvait passer comme un camouflet à l’égard de son successeur, et ce d’autant plus que le cœur de ces interviews portait sur des sujets d’actualité très sensibles: problématique de la mer de Chine méridionale mais surtout l’agression russe en Ukraine, de surcroit avec le régime de Hà Nội donnant à l’opinion internationale tous les signes de complaisance voire de soutien à Moscou (une position qui perdure, à l’image des visites croisées d’autorités à Moscou/Saint Petersburg et à Hà Nội). Sans jamais remettre en cause les lignes rouges de la politique internationale de Hà Nội (et en particulier les « quatre non » / « ba không »), il offrait des positions marquées par un souci d’équilibre et moins abruptes que les éléments de langage qui émanent du porte-parolat du ministère des affaires étrangères, et en tout état de cause plus étayées que le mutisme des autorités militaires, forcément petit doigt sur la couture – mais quand bien même gênées de voir le partenariat que l’APVN nourrissait avec l’Ukraine mis sous l’éteignoir.

L’on comprend ainsi l’émotion qui a transparu dans la plume des journalistes qui l’avaient cotoyé à l’annonce du décès du général Vịnh. Ces derniers s’y étaient indéniablement préparés, comme en témoignaient les rares apparitions du général qui ne craignait pas de se montrer marqué par le combat contre le cancer. Les observateurs de l’actualité de défense vietnamienne n’auront pas manqué de faire un parallèle entre les dernières images de Nguyễn Chí Vịnh et du général Phùng Quang Thanh à l’aune de leur vie, affaiblis par les marques de la chimiothérapie mais portant toujours cette seconde peau qu’a été leur uniforme.

A chef exceptionnel, funérailles militaires exceptionnelles. A l’image du général Thanh, Nguyễn Chí Vịnh a été honoré par tout l’appareil d’Etat, président Võ Văn Thưởng en tête – mais en l’absence du secrétaire général du PCVN Nguyễn Phú Trọng (sur la santé duquel des interrogations pourraient renaître), du premier ministre Phạm Minh Chính (qui n’a pu se soustraire à son obligation de participer à l’assemblée générale des Nations unies à New York) et - mauvais fruit des agendas diplomatiques ou pied de nez de l’Histoire - du général Hoàng Xuân Chiến, son successeur, en déplacement à Washington puis Ottawa. Une absence circonstancielle qui confirmera chez certains observateurs que l’on ne peut remplacer un homme tel que le général Vịnh. 

Certainement la personnalité la plus régulièrement citée par ce blog pour son action en faveur de l’insertion de l’APVN sur la scène des relations internationales militaires, son départ vers sa dernière demeure devant tous ses pairs recueillis autour de sa famille augure plus un nouvel élan : celui de la légende de Nguyễn Chí Vịnh, qui rejoint dans la mort la Gloire de son père. Place maintenant au travail des faiseurs de héros, historiens ou chantres du PCVN, qui vont indéniablement faire (re)vivre dans les prochaines années la mémoire de cet homme au sein de la mémoire collective vietnamienne.  


Pour accéder à une vidéo (en vietnamien) retraçant le parcours de Nguyễn Chí Vịnh, cliquez ici.



jeudi 3 août 2023

Transfert de la corvette indienne INS Kirpan à la marine vietnamienne (23/07/2023)

Partie le 28 juin 2023 de Visakhapatnam, la corvette indienne INS Kirpan a rejoint dans la discrétion la base navale deCam Ranh le 08 juillet après une courte escale à Singapour. Il s’agit du premier bâtiment ayant servi dans l’ordre de bataille indien à être offert avec son armement par New Delhi à l’un de ses partenaires.  

 Au plan symbolique, ce don est un signe fort de la volonté de l’Inde d’être présente jusqu’au cœur de cette mer de Chine méridionale qui cristallise les points de friction entre une Chine de plus en plus assertive face aux nations riveraines de cette espace clé pour les échanges économiques régionaux et internationaux. Il constitue aussi un événement majeur dans la relation de défense entre New Delhi et Hà Nội même si ce bâtiment d’ancienne génération (plus de 30 ans de service à la mer) avait atteint sa limite d’âge en service sous pavillon indien. 

A l’image de plusieurs bâtiments américains et japonais précédemment cédés au Viêt Nam dans des conditions similaires, cette corvette est finalement sauvée du démantèlement par une nouvelle vie sous le pavillon rouge à l’étoile d’or. 

Les préparatifs de son transfert à la marine populaire vietnamienne se sont déroulés loin des médias, au demeurant très rarement admis par les autorités de la 4e Région maritime (RM) à pénétrer sur ce site hautement sécurisé. La chape de silence qui a entouré ces préparatifs a finalement été brisée récemment, par un double événement :

- l’escale dans la base navale internationale du bâtiment de débarquement INS Airavat, du 21 au 25 juillet. Celle-ci a fait l’objet d’une couverture de presse très sobre, axée sur l’accueil du capitaine de vaisseau Suman Saurabh Sharma, pacha du bâtiment, par les autorités militaires et civiles locales (dont le capitaine de vaisseau supérieur Nguyễn Thái Học, adjoint au chef d’état-major de la 4e RM) ainsi que par celles de l’ambassade d’Inde au Viêt Nam. 

Cette dixième escale étrangère de l’année dans un port vietnamien a été la seconde pour la marine indienne, après celle effectuée par les destroyers INS Delhi et INS Satpura à Đà Nẵng du 19 au 25 mai. Il s’est par ailleurs agi d’un retour de l’INS Airavat au Viêt Nam plus de dix ans après son premier arrêt, du 19 au 21 juillet 2011 à Nha Trang.

- le déplacement au Viêt Nam de l’amiral Hari Kumar. Dès son arrivée, le chef d’état-major de la marine indiennes’est rendu à Cam Ranh où il a : 

1) présidé (23 juillet) aux côtés du contre-amiral Phạm Mạnh Hùng, premier adjoint du vice-amiral Trần Thanh Nghiêm, la cérémonie de transfert de l’INS Kirpan à la marine vietnamienne ; 


L'INS Kirpan à quai derrière l'INS Airavat.

2) visité l’Ecole navale à Nha Trang ; 

3) été reçu à Hải Phòng par son homologue, avec lequel il a salué le renforcement régulier de la relation bilatérale, une réalité qui s’exprime en Inde sur le plan de la formation d’officiers vietnamiens (sous-mariniers, pilotes, artilleurs sol-air notamment) et au Viêt Nam par une fréquentation régulière des ports baignés par la mer « de l’Est », mais aussi dans les cénacles internationaux par une solidarité sur les grandes questions internationales, y compris sur l’agression russe contre l’Ukraine (maintien de relations de proximité avec Moscou).

Réception par le vice-amiral Trần Thanh Nghiêm. Ce dernier a reçu sa deuxième étoile 

fin mai/début juin, dans une inhabituelle discrétion médiatique pour un tel événement.  

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Au bilan, il est peu probable que la réception de ce bâtiment confère à la marine vietnamienne un saut qualitatif tant cette corvette est ancienne. Pour autant, ce bâtiment, de classe Khukri, était il y a trois décennies destiné à remplacer les corvettes de type Petya alors en service dans la marine indienne. Ce don à la marine vietnamienne, qui comprend cinq bâtiments de cette classe dans ses rangs, est donc cohérent au regard de l’existence d’une compétence technique dans cette composante pour redonner une nouvelle vie à ce bâtiment. En tout état de cause, son transfert au Viêt Nam illustre de manière concrète et visible jusqu’à Pékin l’engagement de l’Inde jusque dans cette frange de l’Indopacifique, afin d’y renforcer son influence à défaut de pouvoir contenir l’extension de l’affirmation de puissance chinoise. Une situation qui satisfait pleinement Hà Nội, même si elle ne saurait lui offrir de garantie face à un éventuel débordement de cette puissance chinoise voire à un franchissement d’un nouveau palier en matière de provocations en mer de Chine méridionale.


mardi 25 juillet 2023

Fin de tournée du général de corps d’armée Nguyễn Tân Cương dans le Pacifique sud: Wellington (17/07/2023)

Dans la prolongation de sa longue séquence australienne, le général de corps d’armée Nguyễn Tân Cương a poussé sa tournée australe jusqu’à Wellington, pour une journée d’échanges avec les autorités néo-zélandaises. Reçu avec sa délégation le 16 juillet par l’ambassadeur Nguyễn Văn Trung, il a bénéficié le lendemain de sessions de travail avec les plus hauts responsables de la défense néo-zélandaise : accueil mettant en valeur, tout comme en Australie, l’ancrage des militaires du Pacifique avec les peuples autochtones ; réception par le général de corps aérien Kevin Short, chef d’état-major des armées, et ses grands subordonnés ; entretien avec les officiers vietnamiens en formation au sein de l’école d’état-major ; enfin, entretien de courtoisie avec le ministre de la défense Andrew Little. 

Ces échanges ont été l’occasion pour les participants de souligner la qualité - réelle - de la relation bilatérale malgré la distance qui sépare les deux pays et freine de fait la densité des interactions. Dix ans après la signature d’un mémorandum d’entente sur la coopération de défense (2013), la relation se concrétise essentiellement par un soutien apporté par l’armée néo-zélandaise à son partenaire vietnamien sur le plan de l’acculturation au monde des opérations de maintien de la paix sous l’égide des Nations unies, et l’apprentissage de l’anglais. La zone prioritaire des activités militaires néo-zélandaises étant essentiellement circonscrite au Pacifique sud, les interactions directes sont très rares (la dernière escale d’un bâtiment néo-zélandais au Viêt Nam remonte à septembre 2018 - frégate HMNZS Te Mana à Hồ Chí Minh-Ville) tandis que les rencontres entre hautes autorités se déroulent généralement dans les cénacles d’échanges de l’Indopacifique (ADMM+, Shangri-La Dialogue, Western Pacific Naval Symposium). Le bilan comptable est positif, pour les deux parties mais surtout pour l’armée populaire vietnamienne. 

La délégation ne s’est pas attardée sur l’archipel, de surcroît juste en train de s’extraire de l’hiver austral. Elle est probablement rentrée dans la discrétion à Hà Nội le 19 juillet. En cette journée importante pour la marine vietnamienne (avec la remise officielle, par le chef d’état-major de la marine indienne, de la corvette INS Kirpan lors d’une cérémonie à Cam Ranh), le vice-amiral Trần Thanh Nghiêm, commandant en chef de cette composante, était en effet absent et représenté par un de ses adjoints. Pour sa part, le général de division Nguyễn Văn Hiền, commandant en chef de l’armée de l’air et de la défense antiaérienne, a été aperçu deux jours plus tard (20 juillet, ci-dessous à gauche) assistant à un exercice de tirs conduit par les unités de l’armée de l’air (division 371) et de la marine (composante hélicoptères).


Cliquez ici pour visionner un reportage sur les temps forts de cette visite en Nouvelle-Zélande.

lundi 24 juillet 2023

Déplacement du général de corps d’armée Nguyễn Tân Cương en Australie (12-15/07/2023)


Parmi tous les pays qui rivalisent d’effort, souvent en montrant leurs muscles d’acier, pour faire valoir aux yeux des pays d’Asie du sud-est un/leur statut de puissance de l’Indopacifique, il en est un qui se distingue par sa connaissance fine du terreau et de la diversité de cette région et qui, depuis qu’il a décidé en 2020 de placer un effort tout particulier sur ses relations avec ses plus proches partenaires régionaux dans un contexte de dégradation de sa relation avec la Chine, accroît son effort vers ces pays qui, de par leur géographie, forment une ceinture sur ses marches nord-ouest face à l’extension de l’influence chinoise dans le Pacifique. L’Australie est indéniablement le premier voisin occidental des pays de l’ASEAN, et développe vers eux une politique de rayonnement à l’écoute de la réalité de ces sociétés et des aspirations de leurs peuples et de leurs dirigeants, avec lesquels les interactions sont nombreuses, y compris sur le plan militaire. Un domaine dans lequel Canberra s’affiche comme un véritable partenaire, qui place son action sous le signe de la connaissance mutuelle, de la formation des jeunes générations et de l’appui à l’acquisition de capacités adaptées aux besoins des différentes armées de ces pays, notamment en matière de lutte contre les catastrophes naturelles et de préparation à des projections en opérations onusiennes de maintien de la paix. 

Toutes ces lignes de coopération se retrouvent dans la relation de Canberra avec l’armée populaire vietnamienne. Sans jamais aiguillonner l’Histoire passée pour en faire un frein à l’approfondissement d’une réelle relation de confiance, les deux pays sont engagés dans un partenariat fructueux – sur tous les points précités pour le Viêt Nam, pour l’aura régionale pour Canberra. Les mots chaleureux du ministre de la défense australien, Richard Marles, adressés aux pays de l’ASEAN lors du Shangri-La Dialogue en 2022, et les nombreux déplacements de ministres du gouvernement du premier ministre Anthony Albanese dans les capitales aséaniennes ont dissipé en surface les inquiétudes qui avaient pu naître lors de l’ancrage surprise (quoique logique) de l’Australie au géant militaire américain et à son suiveur britannique (alliance AUKUS, annoncée à la face de la Chine - et de l’industrie de défense française…) le 15 septembre 2021. Certes, l’Australie est engagée dans un cycle durable de renforcement de son outil de défense car elle ne pourra rester à l’écart d’une crise militaire américano-chinoise (ou vice-versa) éclatant dans le Pacifique. Mais tous les pays de la région, à hauteur de leurs moyens, sont lancés dans une course au renforcement ou à la modernisation de leurs capacités de défense. Et beaucoup comptent sur le pouvoir modérateur de l’Australie pour apaiser des velléités belliqueuses de l’un ou l’autre des deux Grands du Pacifique, à défaut de pouvoir jouer eux-mêmes ce rôle.

Du 12 au 15 juillet 2023, le général de corps d’armée Nguyễn Tân Cương, chef de l’état-major général des armées et premier vice-ministre de la défense, a été reçu à Canberra par les plus hautes autorités australiennes. Il était entouré pour l’occasion par une importante délégation dans laquelle l’on pouvait noter : son directeur des relations internationales, le chef de la division opérations de l’état-major général, les commandants en chef de la marine et de l’armée de l’air et défense antiaérienne, et le directeur du Département opérations de maintien de la paix. 

Cette visite, rare en Australie en raison de la distance (près de 8 000 km entre Hà Nội et Canberra, soit plus de dix heures de vol), s’est déroulée sous un ciel relationnel sans nuages - si l’on excepte la tempête diplomatique dans un verre d’eau qu’a déclenché l’émission par Canberra en mai dernier d’un coin en souvenir du cinquantième anniversaire du retrait des troupes australiennes engagées dans la guerre du Viêt Nam (*); la pièce arborait les couleurs de la république du Viêt Nam, ce qui a provoqué l’ire des autorités de Hà Nội. 

Les récents déplacements au Viêt Nam de très hautes autorités australiennes, premier ministre Albanese compris (première visite les 03 et 04 juin), et le tout aussi récent appui à la relève du contingent gérant l’hôpital militaire de campagne (Rôle 2) de la Mission des Nations unies au Soudan du sud (MINUSS, à Bentiu) sont des jalons forts d’une réelle relation de proximité. 

Le général Cương a bénéficié d’un accueil particulièrement soigné malgré les agendas chargés de ses hôtes. En cette année du cinquantième anniversaire de la relation bilatérale avec Hà Nội, il a été accueilli le 12 juillet par Richard Marles, vice-premier ministre et ministre de la défense, avec à ses côtés la générale de brigade Nerolie McDonald, ex-attachée de défense à Hà Nội (2016-2019) qui avait littéralement réussi à séduire jusque les médias vietnamiens par son coup de cœur pour le Viêt Nam, dont elle maîtrisait la langue. Désormais directrice générale Pacifique et Timor-Leste au ministère de la défense, cet officier continue de représenter un pont précieux entre les deux ministères.


Le lendemain, il lui a d’abord été offert une séquence marine avec des entretiens avec le contre-amiral Christopher Smith, commandant le Fleet Command (état-major en charge de la constitution et de la préparation opérationnelle des unités de la marine en amont de leur intégration à des opérations de niveau interarmées) et son adjoint (commodore Raymond Leggatt). La marine australienne est coutumière des transits en mer de Chine méridionale, durant lesquels ses bâtiments font annuellement annuellement escale au Viêt Nam, à l’image de la frégate HMAS Parramatta en juin 2022 à Đà Nẵng en juin 2022. Les deux délégations ont probablement abordé les modalités d’une escale en 2023 (aucune escale australienne en 2023 à ce jour). Enfin, une visite du musée de la marine a conclu cette séquence.

En soirée, la délégation hanoïenne a été reçue par l’ambassadeur Nguyễn Tất Thành pour un tour d’horizon de l’approfondissement de la coopération bilatérale de défense cinq ans après la signature, en 2018, d’une vision conjointe sur cette thématique.


Densité des agendas des hautes autorités australiennes oblige, ce n’est que le 14 juillet que le général Cương a été reçu par son homologue, le général d’armée Angus Campbell – qui rentrait de déplacement en Indonésie. La séquence a débuté par une cérémonie alliant non seulement toutes les composantes des forces armées australiennes mais aussi un rappel de l’attachement des Australiens à la diversité culturelle de leur pays et notamment aux peuples aborigènes. 

Un symbole fort, dont toute la portée n’a peut-être pas été perçue aussi profondément par les visiteurs, représentants d’un régime qui certes fait l’apanage du multiculturalisme avec les 54 ethnies qui constituent la nation vietnamienne mais dont l’unité se fait sous la direction autoritaire même si elle se prétend « éclairée » du Parti communiste vietnamien – comme en témoignent les affrontements qui ont secoué les hauts plateaux du Centre mi-juin. 

La teneur de l’entretien protocolaire a confirmé l’excellence des relations à haut niveau, et la parfaite adaptation de la coopération déployée par les armées australiennes au profit des différentes composantes de l’APVN. Se projetant sur l’avenir de cette relation, les deux autorités – et notamment le général Cương - ont évoqué des pistes de coopération pouvant mériter un approfondissement ; sans surprise, la partie vietnamienne a exprimé son intérêt en matière de cyberdéfense (contre des réseaux [dont les réseaux sociaux, qui sont dans le scope du commandement cyber vietnamien)] et d’industrie de défense, et proposé son appui pour consolider la place (déjà excellente) dont jouit l’Australie dans les instances de coopération avec l’ASEAN et notamment dans celles de l’ASEAN Defense ministerial meeting élargi aux grands partenaires de l’Association (ADMM+). Enfin, là aussi sans surprise, le général Cương a invité son homologue à se rendre prochainement au Viêt Nam, ce que ce dernier devrait logiquement concrétiser dans les prochains mois. 

Enfin, dernière touche de cette visite, le vice-amiral Mark Hammond, chef d’état-major de la marine, a reçu son homologue (contre-amiral Trần Thanh Nghiêm) tandis que le général de division Nguyễn Văn Hiền, commandant en chef de l’armée de l’air et de la défense antiaérienne, a été reçu par la générale de division Wendy Blyth, sous-chef « capacités » de l’état-major de l’armée de l’air.


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Dans le prolongement de cette séquence particulièrement dense, le général Cương et sa délégation ont poursuivi cette tournée dans le Pacifique sud par un déplacement d’une journée en Nouvelle-Zélande. Une étape logique pour des raisons plus budgétaires que de densité de la coopération bilatérale de défense entre Hà Nội et Wellington, l'armée néo-zélandaise ne rayonnant pas aussi loin dans le Pacifique.

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(*) 60 000 soldats australiens ont participé à ce conflit aux côtés des Américains et des forces du Sud Viêt Nam. 523 sont morts au combat et quelque 2 400 ont été blessés.

dimanche 16 juillet 2023

Panorama d'actualité de défense vietnamienne (juin - début juillet 2023)

En ce début d’été, synonyme de durcissement progressif des conditions climatiques, notamment dans le Nord et le Centre (apparition des premières dépressions tropicales, souvent porteuses de catastrophes naturelles), le panorama de l’actualité vietnamienne a été riche en interactions diplomatico-militaires de haut niveau, à défaut d’évolutions structurelles dans l’armée populaire vietnamienne (APVN). 

Pour autant, le mois de juin a été secoué par un coup de tonnerre sur le plan sécuritaire, interne et donc plaçant au premier plan les forces de la Công an, tout puissant ministère Sécurité publique dont la mission suprême est, tout comme celle du pilier militaire du pays, de garantir la sécurité du régime communiste. La stratégie de communication du régime a été, une fois n’est pas coutume, ébranlée mi-juin par un événement lié à ce que les autorités communistes appellent communément les « forces subversives intérieures ». Loin d’une cyberattaque, c’est bien à une attaque par petits commandos que deux comités populaires de villages province de Đắk Lắk (hauts plateaux du Centre) ont été victimes le 11 juin à Ea Tiêu et Ea Ktur (district de Cư Kuin). Armés d’armes légères et de charges explosives, les assaillants ont pris d’assaut ces sièges locaux du Parti communiste, abattu deux autorités politiques locales et quatre membres de la Công an et blessé plusieurs autres policiers. Puis ils ont fait sauter les emprises attaquées, avant de s’exfiltrer. Passé l’effet de surprise, une opération de traque des agresseurs et de tous leurs soutiens a été rapidement lancée par la Công an. La chape de plomb opérationnelle n’a été brisée que le 14 juin, par le général de division Tô Ân Xô, porte-parole du ministère, qui annonçait la restauration de l’ordre mais aussi la poursuite des recherches de tous les sympathisants de ces agresseurs. Au 20 juin, plus de 80 individus avaient été arrêtés, souvent suite à des délations. Les autorités policières ont annoncé avoir saisi de l’armement, mais aussi une dizaine de drapeaux du Front unifié des races opprimées (FULRO), mouvement plus que cinquantenaire dont les dernières racines dans les hauts-plateaux du Centre n’ont jamais été définitivement éradiquées par le régime communiste. 

Plus que l’effet aiguillon de soutiens extérieurs, que les autorités du pays citent régulièrement pour identifier des coupables étrangers mais infiltrant la société multiethnique vietnamienne, l'on verra dans ces actes – très rares, surtout dans une telle forme d’attaque coordonnées – l’expression non d’une volonté (et encore moins de capacités) de saper le régime de Hà Nội, mais d’une haine contre des forces de sécurité aux ordres de potentats locaux et adeptes d’un zèle excessif, mettant en œuvre des directives de dirigeants hanoïens d’ethnie kinh qui n’ont que faire des coutumes, cultures et langues des 53 autres ethnies du pays, qu’elles tentent de placer en coupe réglée au nom de l’unité de la nation. Pression démographique, appétits économiques, impératif de contrôler les régions frontalières, et contrôle étroit des populations, sont des arguments difficiles à masquer derrière des discours et slogans de solidarité. Et des attitudes souvent prévaricatrices et d’un autoritarisme brutal peuvent déclencher des actions de représailles locales dont les auteurs, rapidement isolés jusque dans leurs familles, finissent par être interpellés voire éliminés. En tout état de cause, force et louanges reviennent toujours aux forces de sécurité, bénéficiant de la puissance de médias d’Etat aux ordres. Ainsi, tout comme c’est le cas lorsqu’un militaire décède en service, les quatre policiers tués le 11 juin ont été très rapidement promus à titre posthume au grade supérieur, tandis que les hommes ayant été engagés dans les opérations de restauration de l’ordre ont été mis largement à l’honneur devant les médias. Puis la chape de silence médiatique est retombée sur les questions de fond qui ont conduit à cette éruption de violence, mais qui vont continuer de faire l’objet de débat entre autorités locales et centrales, surtout quand l’on sait que le cycle de préparation du prochaine congrès national du Parti communiste vietnamien va débuter par les débats au niveau local.

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Revenant sur la scène militaire, parmi les événements qui auront jalonné ces six dernières semaines, l’on retiendra :

sur mer, deux escales de groupes navals de tout premier plan dans les ports vietnamiens : tout d’abord à Cam Ranh du 20 au 23 juin, avec les destroyers japonais JS Izumo (près de 300 mètres de long) et JS Samidare ; puis américaine à Đà Nẵng du 25 au 30 juin avec le porte-avions USS Ronald Reagan et les croiseurs USS Antietam et USS Robert Smalls

Derrière une communication mettant en valeur des escales « de routine » et des commémorations de dates importantes des calendriers respectifs des relations diplomatiques (50e anniversaire des relations diplomatiques entre Tokyo et Hà Nội, 10e anniversaire de la signature du partenariat stratégique global entre Washington et Hà Nội), la simple présence de ces bâtiments aux gabarits exceptionnels, représentant des partenaires majeurs pour le Viêt Nam en termes de contrepoids à l’intense activité militaire chinoise en mer « de l’Est », a suffi à attirer l’attention des médias régionaux et internationaux (pour la troisième escale d’un porte-avions américain depuis la fin de la guerre du Viêt Nam, dans un contexte de bras de fer sino-américain sur dans le Pacifique occidental). Nul besoin de déplacements de hautes autorités militaires et encore moins civiles dans ces ports, car cela aurait suffi pour créer des vagues diplomatico-militaires jusqu’à Pékin, effet d’autant moins recherché par Hà Nội que l’escale du Ronald Reagan était concomitante avec le premier déplacement à Pékin du premier ministre Phạm Minh Chính (avec dans sa délégation le général d’armée Phan Văn Giang, qui a rencontré pour la première fois son nouvel homologue chinois, le général Li Shangfu).


sur les théâtres d’opérations de maintien de la paix onusiens :

- la relève du quatrième détachement du service de santé des armées qui gère l’hôpital de campagne (Rôle 2) de la Mission des Nations unies au Soudan du sud (MINUSS) à Bentiu

Au terme d’un mandat de plus de 13 mois, ce détachement est relevé par une unité constituée sur une ossature de cadres fournie par l’Hôpital militaire 175 (Hồ Chí Minh-Ville), qui a été officiellement et médiatiquement mise à disposition du Département vietnamien des OMP le 27 juin lors d’une cérémonie sur l’aéroport d’Hồ Chí Minh-Ville, rehaussée par la présence du président Võ Văn Thưởng (accompagné des GCA Nguyễn Tân Cương, chef de l’état-major général des armées, Hoàng Xuân Chiến, vice-ministre de la défense, chargé des relations internationales, et Phùng Sĩ Tấn, adjoint au CEMG). Comme c’est le cas depuis le début de l’engagement de l’armée populaire vietnamienne sur ce théâtre d’opérations, la projection du cinquième contingent et le rapatriement du contingent relevé ont été pris en charge par l’armée australienne, partenaire particulièrement fiable de Hà Nội. 

Le 07 juillet, le C-17 transportant les 63 militaires commandés par le lieutenant-colonel Nguyễn Hà Ngọc s’est posé à Juba. Deux jours plus tard, il se posait à Hà Nội avec à son bord 51 militaires désengagés. Douze autres membres de ce contingent seront rapatriés un peu plus tard, après avoir facilité la prise en compte de leur mission au contingent montant. 


- les derniers préparatifs de la première relève du détachement du génie déployé au sein de la Force intérimaire de sécurité des Nations unies pour Abiyé (FISNUA)184 militaires dont 22 femmes devraient succéder à l’été à l’unité pionnière déployée en mai-juin 2022.


- sur le plan diplomatique, ce début d’été a débuté sur des bases intenses, avec des rendez-vous de très haut niveau, dans lesquels les hauts dirigeants militaires ont été très sollicités. Ces événements ont concerné les partenaires les plus solides du Viêt Nam :

1 – les « frères d’armes historiques » : 

-   Indedu 17 au 20 juin, déplacement du général d’armée Phan Văn Giang en Inde, marqué par l’officialisation du don à la marine vietnamienne d’une corvette lance-missiles indienne, l’INS Kirpan ;

-  Cuba - le 22 juin, à peine rentré de New Delhi, le GAR Phan Văn Giang a accueilli un autre partenaire historique de l’Armée populaire vietnamienne, en la personne du général de corps d’armée Álvaro López Miera, ministre cubain de la défense, avec qui il a signé un plan de coopération pour la période 2023-2025. 

   Après avoir visité un Très Grand d’Asie, avec lequel la relation quoique historique place les Vietnamiens en position de débiteurs, la réception de ce camarade de lutte idéologique – dont le site Internet de l’ambassade à Hà Nội rappelle l’engagement personnel de Fidel Castro aux côtés des Vietnamiens luttant contre les « impérialistes américains », a offert au haut état-major une opportunité de s’afficher en position au moins d’égalité (idéologique) sinon de force au regard du fossé qui sépare les armées cubaines et vietnamiennes. 

 (*)

    Nulle surprise donc à ce que les postures des commandeurs vietnamiens mises en valeur par la presse locale aient toutes été à leur avantage : effusions, chaleur des regards, un renversement de posture dans lequel les Vietnamiens excellent et qui leur permet de laisser parler la voix du cœur plus que celle de la raison ou du besoin, qu’ils doivent adopter dans quasi toutes leurs interactions avec leurs autres partenaires (Cambodge et Laos exclus bien sûr) ;

APVN et armée cubaine main dans la main (GCA Nguyễn Tân Cương, CEMG)

-    le « grand frère » russe : n’en déplaise aux partenaires occidentaux de Hà Nội, le lien avec Moscou ne se fane pas, y compris sur le plan de la relation entre militaires. Malgré la poursuite de la guerre menée par l’armée russe contre l’Ukraine, Moscou continue de dorer son blason de la relation avec ses partenaires historiques, dont le Viêt Nam. Il est vrai que Hà Nội ne peut se soustraire à ce lien tant l’ancrage russe de son armée est fort (dépendance de toutes les composantes vis-à-vis de la technologie russe, formation de générations de cadres en Russie). Les annonces du ministère de la défense sur sa volonté de diversifier ses partenariats ne concernent que des niches (drones par exemple), qui ne menacent nullement cordon ombilical qui lie l’APVN à sa « grande sœur ». 

     Le déplacement du général Hoàng Xuân Chiến à Moscou (05 au 07 juillet) n’en demeure pas moins un acte fort, qui n’a pas dû passer inaperçu de ses autres interlocuteurs, occidentaux : sa réception par le général Shoïgu, ministre de la défense d’un pays en guerre contre un autre partenaire historique du Viêt Nam, la co-présidence du dialogue stratégique bilatéral de défense (le sixième du genre), et l’entretien avec le vice-premier ministre Dmitry Chernyshenko – qu’il avait lui-même reçu le 07 avril à Hà Nội à l’occasion du trente-cinquième anniversaire de la création du Centre tropical Viêt Nam – Russie, sont autant d’actes forts qui témoignent d’autant plus du soutien vietnamien à la Russie que les dirigeants du régime de Hà Nội ne conduisent aucune action similaire avec leurs homologues ukrainiens. 

     Realpolitik, autisme ou recherches de marchés obligent, les partenaires occidentaux de Hà Nội, qui sont pourtant en position de force tant le Viêt Nam est demandeur d’expertise, de soutien et de dons, ne semblent même pas marquer le coup…

 

2 – l’incontournable voisin chinois. Du 26 au 28 juin, le premier ministre Phạm Minh Chính a effectué son premier voyage es qualite à Pékin. Un événement qui s’inscrit dans la volonté des autorités vietnamiennes de nourrir une relation aussi apaisée que possible avec le président chinois et numéro un du Parti communiste chinois Xi Jinping, malgré les violations récurrentes des eaux territoriales vietnamiennes en mer « de l’Est ». Huit mois après le déplacement à Pékin du secrétaire général du PCVN Nguyễn Phú Trọng (**), cette visite du chef du gouvernement est logique et s’est essentiellement axée sur les questions économiques, avec un appel lancé aux entreprises chinoises pour investir au Viêt Nam. Propos réciproquement chaleureux, pas de mention ostensible aux sujets qui fâchent, la visite peut être qualifiée de succès, au moins pour le régime de Hà Nội aux yeux de son opinion publique.

Parmi l’importante délégation qui accompagnait M. Chính l’on aura noté le général d’armée Phan Văn Giang, ministre de la défense. Après avoir éludé le Shangri-La Dialogue début juin à Singapour (il s’y était fait représenter par le général Hoàng Xuân Chiến), ce déplacement a donc offert l’opportunité d’une première rencontre avec son nouvel homologue, le général Li Shangfu. Photo sobre, sans chaleur particulière (peut-être en raison de l’accueil au même moment d’un groupe aéronaval américain à Đà Nẵng ?), à l’image de propos convenus : remerciements du général Giang pour l’assistance apportée par l’armée populaire de libération aux unités vietnamiennes lors des conflits contre les Français puis les Américains, attachement des deux ministres à l’entretien de relations de bon voisinage, invitation du général Li Shangfu à se rendre au Viêt Nam, et réciproquement. 

Là aussi, pas un mot (dans la presse) sur les différends historiques (mer « de l’Est ») afin de ne pas plomber dès le premier contact une relation dans laquelle le général Li Shangfu a l’avantage sur son homologue vietnamien : le général Giang sait que son parcours s’achèvera dans deux ans et demie, et peut pressentir que, comme cela fut le cas lors des préparatifs des deux précédents congrès nationaux du PCVN, la Chine n’hésitera pas à appuyer là où cela fait mal, y compris en accroissant ses activités intrusives dans les eaux revendiquées par le Viêt Nam, pour arriver aux fins de Pékin : avoir un nouveau comité central du PCVN présentant des affinités avec son homologue chinois et non inscrit dans une logique d’opposition. 

Mais le contact est pris, reste à le confirmer par une rencontre au format plus officiel, entre délégations comprenant les plus hauts dirigeants des ministères de la défense respectifs.


*           *          *

La photo du mois. Enfin, je conclurai ce bilan par une photo d’un homme qui a marqué de son empreinte le renseignement et les relations internationales de l’APVN durant vingt ans : le général de corps d’armée Nguyễn Chí Vịnh, admis à la retraite fin 2021, était resté dans la lumière pendant un an malgré la prise de fonctions du Hoàng Xuân Chiến, peu préparé à succéder à un tel chef – de surcroit fils d’un compagnon de lutte d’Hồ Chí Minh. 

Sa disparition soudaine des médias, en 2022, et quelques traits de fatigue dans ses dernières interviews et apparitions, suggéraient une maladie qui pouvait rappeler la brutale disparition du général d’armée Phùng Quang Thanh, en septembre 2021 suite à un cancer. 

Le 15 juin, sur fond de mise en valeur de la (réelle) aventure qu’a constitué le début de l’engagement de l’APVN en OMP onusiennes, et qu’il avait conduite, le général Vịnh a été mis en valeur aux côtés du général Hoàng Kim Phụng, ex-directeur du Département OMP de l’APVN. Les lecteurs ont redécouvert un homme quasi chauve, marqué physiquement par les signes révélateurs d’une chimiothérapie. Agé de 66 ans, le général Vịnh, qui était entré en service à la fin de la guerre contre les Américains, mène indéniablement son combat le plus solitaire, contre un ennemi qui ne connaît pas de temps de paix… 

*    *    *

(*) « Vì Việt Nam, Cuba sẵn sàng hiến dâng cả máu của mình! » - « Pour le Viêt Nam, Cuba est prêt à donner son sang ! » - phrase prononcée par Fidel Castro le 02 janvier 1966 à La Havane dans un discours saluant la solidarité entre peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. 

(**) 30 octobre – 1er novembre 2022. M. Trọng a été le premier dirigeant étranger reçu par Xi Jinping après sa reconduction à la tête du PCC (23 octobre 2022).

mercredi 5 juillet 2023

Escale d'un groupe aéronaval américain à Đà Nẵng (25-30/06/2023)

 

Il est des escales dites « de routine » qui relèvent de l’exceptionnel. C’est généralement le cas des escales de bâtiments américains au Viêt Nam, et encore plus lorsqu’il s’agit d’un groupe aéronaval. 

Après l’USS Carl Vinson du 05 au 09 mars 2018 (première escale d’un porte-avions américain dans le pays depuis la fin de la guerre du Viêt Nam) puis l’USS Theodore Roosevelt du 05 au 09 mars 2020 (escale qui a marqué le début de la contamination de la 7e Flotte US par le Covid-19), c’est désormais l’USS Ronald Reagan (CVN 76) qui a été accueilli avec deux de ses bâtiments d’escorte à Đà Nẵng, du 25 au 30 juin 2023.

Tout comme lors des deux précédentes escales, le gabarit du Ronald Reagan, porte-avions de la classe Nimitz (333 mètres de long, déplacement de 88 000 tonnes, plus de 60 aéronefs et quelque 6 000 militaires à bord), l’a contraint à rester au large, tandis que les croiseurs lance-missiles (classe TiconderogaUSS Antietam (CG 54) et USS Robert Smalls (CG 62 - ci-dessus) ont accosté au port militaire de Tiên Sa. Les membres d’équipage du porte-avions ont quant à eux été acheminés par rotations de ferries jusqu’au quai.

Cette escale s’est assortie d’événements internes au groupe aéronaval, qui ont surtout été mis en valeur par les sites officiels américains, dont bien sûr celui de l’ambassade à Hà Nội. Ainsi, au moment d’entrer dans les eaux vietnamiennes, le contre-amiral Patrick Hannefin a succédé au CA Michael Donnelly en tant que commandant de la Task Force 70 ; deux jours plus tard, une autre passation de commandement a eu lieu à quai (25 juin) : le capitaine de vaisseau Warren Smith a transmis le commandement de l’USS Antietam au CV Victor Garza. Des passations de flambeau à haute connotation opérationnelle, avec comme toile de fond ces eaux disputées de la mer de Chine méridionale.

Les autorités civiles et militaires de la grande ville du Centre, accompagnées de l’ambassadeur américain Marc Knapper, de la consule générale à Hồ Chí Minh-Ville Susan Burns et de leurs collaborateurs, ont accueilli le commandant de la Task Force et les pachas des bâtiments avec colliers de fleurs (cela semble devenir une coutume au Viêt Nam avec la levée des mesures de précaution sanitaire) mais sans déplacement de très hautes autorités. 

L’on y verra un effet de cette connotation « escale de routine » qui se traduit par une médiatisation sans ampleur particulière. Deux mois après la visite du secrétaire d’Etat Anthony Binken à Hà Nội (14 avril), les déclarations américaines sont restées sobres, sans étincelles pouvant aviver des tensions contre la Chine (surtout que le premier ministre Phạm Minh Chính et le ministre de la défense Phan Văn Giang arrivaient à Pékin le 27 juin), et axées essentiellement sur la mise en valeur du dixième anniversaire de la signature du partenariat global entre Washington et Hà Nội (25 juillet 2013 à Washington).

Réception du CA Hannefin par le capitaine de vaisseau supérieur Nguyễn Thiên Quân,
commandant la 3ème Région maritime
(25/06/2023).

Les portails de communication de l’ambassade américaine et du consulat général à Hồ Chí Minh-Ville ont diffusé des clichés qui, à l’image des précédentes escales, ont mis l’accent, rapide sur quelques activités protocolaires, plus appuyé sur les activités américaines menées au profit de la population : déplacement au sein d’un orphelinat, activités sportives, concert de la musique de la Flotte du Pacifique, etc

Un "jardinier en chef" pas très convaincant!...

Enfin, concomitamment à cette escale, une cérémonie de restitution de dépouilles de soldats américains morts durant la guerre du Viêt Nam a eu lieu sur l’aéroport de Đà Nẵng, le 27 juin. Il s’agit de la 161e cérémonie de ce type depuis 1988, année de début de ces opérations de recherche qui participent aussi d’une démarche de normalisation des relations entre adversaires d’hier.

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Mission remplie donc, le Theodore Roosevelt et son bâtiment escorte ont repris la mer le 29 juin dans la discrétion médiatique, laissant la trace d’une escale réussie, sans faille dans le dispositif organisationnel et parfaitement maîtrisée sur le plan de la communication. 

Avec cette neuvième escale de l’année (dont quatre à Đà Nẵng), la fréquentation des ports vietnamiens par les bâtiments étrangers atteint le niveau de l’année 2022, même si le nombre total de bâtiments ayant fait relâche est à ce jour légèrement inférieur au total de l’année précédente (13 à ce jour contre 15 en 2022).